L’Association pour l’amitié a quitté des locaux vétustes rue de Vaugirard pour emménager dans les murs du couvent, au 68 rue des Plantes. En mars la « Maison des Plantes » est inaugurée.

La Maison des Plantes occupe la majeure partie du bâtiment de presque 5000 m2 construit en 1909 sur un terrain acheté par l’Abbé Carton (La Page n°129). En 2015, la congrégation des soeurs de l’Assomption en confie 3500 m2 à l’Association pour l’Amitié (APA), la partie restante y accueillant encore une dizaine de religieuses.

Les locaux mis à disposition demandent à être entièrement repensés par l’APA, des travaux colossaux s’imposent et le projet requiert au total un financement de 8,8 M€. L’APA se met en lien avec des professionnels, des architectes… L’État, la région Île de France et la Ville de Paris s’engagent sur le projet puis, dès 2021, 50 mécènes (fondations Bettencourt-Schueller, Notre-Dame…). Le chantier démarre fin mars 2022, il durera 20 mois ; l’APA emménage rue des Plantes le 25 novembre 2023, tout est prévu pour loger 95 personnes et quatre familles.

Un système de colocation innovante

L’APA : association catholique créée il y a 17 ans, dont le siège se situe dans le 15e arrondissement. Elle a pour objectif de favoriser la création de relations d’amitié et d’entraide entre des êtres n’ayant ni le même mode de vie, ni le même âge, ni les mêmes conditions sociales; en privilégiant les personnes sans domicile fixe ou isolées. Pour atteindre cet objectif, les fondateurs ont répondu par un système de colocations. Ces dernières années, les jeunes ou même les moins jeunes, adoptent souvent ce « vivre ensemble » pour des raisons financières; pour l’APA il faut ajouter fraternité et solidarité. La colocation prend alors un aspect différent en distinguant les « colocs » au parcours de vie chaotique et les « colocs volontaires » recrutés pour l’essentiel parmi des étudiants ou de jeunes professionnels. Dès lors l’APA a multiplié ce type de colocations comme des lieux de vie et d’amitié, que ce soit à Paris ou en banlieue. En province et à l’étranger c’est son association sœur Lazare qui œuvre avec le même objectif. Il s’agit d’appartements ou de maisons pouvant abriter entre 6 et 100 personnes dont la moitié vivaient « à la rue », en foyer d’hébergement collectif, à l’hôtel, chez les uns ou les autres… En 2023, 28 lieux de vie en Île-de-France ont été recensés. La durée du séjour de ces pensionnaires dans les logements n’est pas limitée a priori, mais adaptée aux souhaits et aux besoins de chacun, à ses capacités d’autonomie.

La Maison des Plantes

C’est le lieu de vie qui accueille le plus de personnes jusqu’ici, un beau défi pour l’association : il s’agit « d’articuler avec finesse, vie en petits effectifs et vie en grand nombre afin que chacun puisse s’y retrouver ». Les locaux, accessibles aux personnes à mobilité réduite, sont munis d’un ascenseur et s’étalent sur quatre étages au-dessus d’un rez-de-jardin donnant sur un bel espace vert. Chaque niveau est attribué à un public spécifique ; au deuxième ce sont les « garçons », ils sont dix : cinq colocs et cinq colocs-volontaires, un par chambre ou studio selon les moyens et les disponibilités. Ils profitent en commun d’une cuisine, d’une salle à manger/salon, de douches et toilettes, d’une buanderie, toutes les chambres sont meublées par l’APA ou le résident lui-même. Au troisième ce sont les « filles », répartition semblable des locaux : huit chambres dont six seulement occupées en ce moment, trois colocs et trois coloc-volontaires. À chaque étage se situe l’appartement d’une famille (1) référente des occupants du même niveau, chargée aussi d’une participation à la gestion du bâtiment dans son ensemble. Au rez-de-jardin se trouve une cuisine attenante à une salle (ancien réfectoire des religieuses) pouvant accueillir une centaine de personnes pour un repas, ou servir de lieu de divertissements (ping-pong, piano, jeux de société, cinéma). À côté, plusieurs salles d’ateliers à thème (arts plastiques, réparation de vélos) répondent aux besoins d’activités des résidents.

Le quotidien des colocataires

Les règles de vie basées sur l’auto-organisation et la responsabilisation de chacun au quotidien sont fixées par un règlement intérieur. Chaque équipe est autonome, animée par un responsable de coloc. Tous les colocataires assurent par roulement les tâches ménagères, l’entretien des lieux, l’approvisionnement des courses, la tenue des comptes. Tous les frais sont partagés et pris en charge par les résidents : 80 €/ mois en tarif unique pour la nourriture, les taux des loyers sont fixés en fonction des revenus, ils n’excèdent pas 500 €/mois pour une chambre. Chacun gère sa liberté à une exception près : la présence au repas du vendredi soir en commun avec les voisins du même étage et une fois par mois avec l’ensemble des résidents. Certains colocs travaillent à l’extérieur, d’autres non. Le recrutement des colocataires se fait : pour les colocs ayant vécu la précarité selon des partenariats avec des travailleurs sociaux et le Service Intégré de l’Accueil et de l’Orientation de Paris, pour les coloc-volontaires à partir du site internet. Nous avons rencontré Anne-Marie, l’une des colocs de l’étage des filles ; elle connait l’association depuis plus de dix ans, moment où elle a dû faire face à des incidents de la vie qui l’ont conduite à la porte de la rue. Repérée par la congrégation de Mère Teresa à Oberkampf, elle intègre le centre de l’APA à Montmartre en 2013 ; après deux années elle trouve un appartement où elle reste pendant presque huit ans. Mais elle n’a pas oublié le passé et souhaite revenir à l’APA ; elle s’installe alors dans une colocation du site de Vaugirard en 2023, puis elle intègre la Maison des Plantes. En retraite de son métier d’auxiliaire de vie, maintenant elle ne regrette pas son choix. C’est avec des yeux pétillants qu’elle nous accueille et nous présente sa voisine et coloc-volontaire : la dynamique Marion qui espère la côtoyer pendant deux années.

La Maison des Plantes, sans télévision ni alcool, ce sont des activités communes facultatives : séjours, week-end au vert, repas partagés comme celui du dimanche midi ouvert à tous, y compris aux habitants du quartier (2), aux voisins de Ndbs, aux personnes de la rue… et le pari d’augmenter chaque année le nombre de colocs reconstruits et sauvés de la précarité !

Janine Thibault

1) Trois familles sont arrivées : Grégoire et Anne-Flore, Raphael et Marie, Romain et Marie, deux d’entre elles avec quatre jeunes enfants dont des jumeaux…

2) Repas du dimanche midi à partir de 12h, sans préinscription. Actuellement 60 à 70 convives.